Le/s corps vivant/s - Entretien avec Nathan Biggs-Penton

Un article écrit par
Nathan Biggs-Penton
27 novembre 2023
4 min

(Re)découvrez le travail de l'artiste canadien Nathan Biggs-Penton en lisant l'entretien réalisé dans le cadre de Living Body/ies, la première publication annuelle du fil rouge de Circostrada. 

© Émélie Rivard-Boudreau

Que signifie pour vous « corps vivants » ?

Ce n’est pas un terme que je connais bien. Peut-être dirais-je, pour commencer, que « corps vivants » est l’opposé de « corps sans vie » ? Pas dans le sens de «morts», mais plutôt vidés des émotions et des sensations qui font partie de la vie. Ce sont nos corps qui nous transportent à travers la vie. Le terme «corps vivants » inspire une réflexion sur ce qui nous appelle, nous intrigue et nous invite à participer activement à la vie.

Vous avez lancé Acting for Climate Montréal en 2019, en compagnie d’Agathe Bisserier et d’Adrien Malette-Chénier. Comment tout cela a-t-il commencé, et quelles ont été vos priorités ces trois dernières années ? Enfin, comment travaillez-vous en tant que réseau d’artistes et quels sont vos liens avec la branche européenne d’Acting for Climate?

En 2019, j’ai traversé l’Atlantique en avion pour me rendre à Copenhague afin de travailler sur la production «into the water» que j’avais co-créée et interprétée avec Acting for Climate. J’ai compris, à ce moment-là, que ma participation devait radicalement évoluer, puisque mes actions étaient en contradiction avec les valeurs morales de la compagnie. Fin 2019, nous avons décidé que la solution passait par la création d’une compagnie sœur en Amérique du Nord. Agathe et Adrien sont venu·e·s rencontrer la compagnie à Copenhague pour apprendre et échanger sur les méthodes ainsi que sur les valeurs d’Acting for Climate. Ensemble, nous avons créé la compagnie Acting for Climate Montréal. Ces trois dernières années, nous avons organisé des ateliers en visant deux objectifs. Premièrement, lancer un débat sur le développement durable dans le monde du cirque et des arts du spectacle à Montréal ; deuxièmement, créer notre première production en tournée, «Bran- ché», une performance acrobatique collective au cœur de forêts ou de parcs qui aborde, avec simplicité et optimisme, notre rapport à la crise climatique en célébrant la force de la communauté. Nous sommes liés par un objectif commun : inspirer à agir pour un futur plus durable. Cette mission fondamentale d’Acting for Climate est résolument ancrée dans les décisions, actions et performances de la compagnie des deux côtés de l’Atlantique.

Sur votre site web, il est écrit que «Acting for Climate n’est pas qu’un groupe d’artistes, c’est aussi un état d’esprit et un mouvement ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Que souhaitez-vous accomplir collectivement, à l’avenir ?

Nos méthodes et valeurs ne nous sont pas propres : elles sont partagées par d’autres compagnies artistiques qui cherchent à associer art et écologie. Notre réseau diffuse ces valeurs dans l’espoir que d’autres compagnies se joignent au mouvement, afin que nous puissions unir nos forces pour œuvrer vers des pratiques plus durables.

Vous êtes vous-même artiste de cirque contemporain (jongleur). Diriez-vous que les préoccupations écologiques sont partagées par beaucoup d’artistes autour de vous ou, de manière plus générale, par le secteur des arts du spectacle au Québec ? Si oui, comment cela se traduit-il concrètement dans la pratique artistique?

Je m’entoure de gens qui cherchent à intégrer l’écologie dans leur pratique artistique, mais aussi dans leur vie quotidienne. Comme dans tous les secteurs, il y a beaucoup de greenwashing dans les arts du spectacle : certain·e·s peuvent se sentir suffisamment concerné·e·s pour appliquer des changements a minima et ainsi se donner une image « verte », mais n’iront pas plus loin pour identifier les causes de leurs actions nuisibles à l’environnement. Pour ceux·elles pleinement préoccupé·e·s par la question écologique, les enjeux qui surviennent sont tant humains que sociaux. Quand on regarde les causes du gaspillage et de la pollution, on s’aperçoit que lorsqu’on est fatigué·e ou qu’on manque de temps, il devient quasi impossible de suivre un mode de vie ou une pratique artistique durable. Dans ces moments-là, notre désir de confort torpille tous nos efforts de réduction de notre empreinte. Manger est un besoin essentiel et, quand on n’a ni le temps de cuisiner, ni l’espace pour jardiner, les choix écoresponsables sont vite limités. Même si l’empreinte carbone du secteur des arts est négligeable par rapport à d’autres industries, nous devons utiliser notre voix – à travers la poésie et l’émotion – pour inspirer le changement dans tous les secteurs. Ces dernières années, mon travail a consisté à créer plus d’espaces propices à une réflexion sereine dans le monde entier. Plutôt que d’aborder de manière très directe la question du développement durable, je tente d’en parler de façon plus subtile, en insistant sur la simplicité, l’observation et la réflexion pondérée. Pour changer durablement notre mode de vie, nous devons prendre le temps de nous arrêter, d’observer et de créer un espace de réflexion et de discussion, afin de développer des solutions créatives.

Selon vous, quelle est la priorité absolue en matière de pratiques durables dans le cirque contemporain québécois ? Qu’est-ce qui pourrait vraiment changer les choses ?

Même si 90 % des tournées des productions québécoises ont lieu à l’international, le Québec – et plus précisément les villes de Montréal et de Québec – est reconnu comme un haut lieu du cirque mondial. Pour moi, soutenir un réseau local de tournées au Québec, c’est nourrir la scène contemporaine et son développement durable. En offrant la possibilité aux artistes de partir en tournée près de chez eux·elles, des liens forts se tissent avec les communautés locales : ainsi, nous favorisons la richesse sociale tout en réduisant l’empreinte carbone. Pour aller vers des actions concrètes, les pouvoirs publics doivent soutenir les diffuseurs locaux, car leurs publics n’ont pas l’habitude d’aller au cirque. Les diffuseurs peuvent se montrer hésitants à programmer un spectacle de cirque, qui représente pour eux davantage un risque qu’une opportunité.

Par le biais de vos créations solo personnelles (Adrift: in woods) ou des performances créées avec Acting for Climate, vous utilisez l’environnement naturel pour proposer des spectacles in situ uniques (Rappelle-moi ou Adapting to the tide, par exemple) qui invitent les spectateur·rice·s à se (re)connecter avec la nature. Quelles sont les réactions du public ?

Quand on a joué Branché en forêt devant plus de 2000 personnes durant l’été 2021, on a beaucoup échangé avec le public, qui a été ému par notre relation avec la nature environnante. Leurs réactions gravitaient autour de sentiments variés : l’espoir, l’inspiration, l’harmonie et l’attention, mais aussi la tristesse de la réalité à laquelle nous sommes aujourd’hui confronté·e·s. Que ce soit dans mes performances solo ou dans les spectacles urbains d’Acting, j’entends souvent le public me dire qu’il s’est senti transporté hors de la ville pendant la représentation. La nature est si fortement présente dans les corps des artistes que l’audience quitte le chaos de la ville pour se laisser emmener vers un lieu de calme. Le temps est comme suspendu, ce qui nourrit la réflexion et le contact humain.

© Émélie Rivard-Boudreau

Nathan grew up in the woods between mountains in a house built and designed by his parents. In 2013 Nathan dove head first into the world of physical expression; acrobatics, manipulation, and dance. Circus Smirkus, the University of Dance and Circus of Stockholm, and the Quebec Circus School form the founda- tion from which he grows. Art in society is essential, and in current times society needs the influence of art to move towards a sustainable tomorrow. Nathan is a core member of Acting for Climate in Europe and is the co-founder and co-director of Acting for Climate Montréal.