Les arts de la rue au Pays de Galles en 2022 – le point de vue d’Annie Grundy (Articulture-Wales)
La première édition de l'événement Dive a eu lieu dans le cadre du projet Circostrada Body/ies, du 3 au 4 mars 2022 à Staylittle (Pays de Galles, Royaume-Uni). Co-organisé avec Articulture lors du Outdoor Arts Wales Gathering 2022, l'événement a été l'occasion de plonger collectivement dans le thème de l'année "Le/s corps vivant/s" porté par le réseau et de se connecter avec des artistes et acteurs culturels gallois.
Cet article, rédigé par la codirectrice d'Articulture Wales, est un témoignage de cette première édition de Dive, ainsi qu'un instantané du dynamisme des arts de la rue gallois.
En ce week-end gallois, le ciel bleu parsemé de nuages n’empêche pas l’automne de prendre ses marques, symbolisé par un coucher de soleil déjà précoce. Il n’y a pas si longtemps, la fin de l’été était le moment parfait pour découvrir les arts de la rue au Pays de Galles. Désormais cependant, festivals et autres événements culturels s’aventurent jusqu’à l’automne – voire l’hiver. La multiplication des œuvres in situ trahit une tendance : la beauté et la singularité des paysages et communautés galloises se découvrent tout au long de l’année. Après un début 2022 bien morose, l’invasion russe en Ukraine venant s’ajouter à une ambiance déjà lourde (Brexit, COVID et crise climatique), le printemps et l’été gallois sont apparus comme des surprises aussi belles que culpabilisantes, apportant leur lot d’énergie, de joie et de répit à travers le prisme des arts de la rue sous ses formes diverses (parfois entremêlées) : festivals, art dans l’espace public, cirque, activisme artistique, carnaval et street art. Sitôt le confinement terminé, Articulture a organisé un « rassemblement » à The Lodge, dans le village de Staylittle au cœur des monts Cambriens. Dans cet espace, esprits et corps ont laissé libre cours à leur créativité, tout en partageant les expériences, les peurs, les idées et les opportunités – autant d’occasions de se (re)connecter après deux ans d’isolement physique forcé.
L’équipe Circostrada nous a rejoint·e·s. Ce réseau européen de cirque contemporain et d’arts de la rue avait convié diverses personnalités, et en a profité pour lancer son projet « Living Body/ies » consacré aux corps vivants, avec un premier événement de formation approfondie Dive auquel ont participé directement Stéphane Segreto-Aguilar, Heba el-Cheikh et plusieurs artistes gallois·es. Dans la brume d’altitude, nous avons partagé une tasse de thé autour du samovar géant signé AndNow. Cheryl Beer nous a présenté l’ogham, un ancien alphabet celtique construit comme un arbre, lors d’une exploration commissionnée par Marc Rees. Enfin, Karine Décorne a invité le biologiste Merlin Sheldrake à présenter ses fascinants travaux sur les champignons. Nos échanges sur l’impact de la crise climatique ont montré deux choses : d’une part, culture et nature sont intimement liées au Pays de Galles ; d’autre part, la créativité artistique en extérieur est très dynamique, déterminée à améliorer notre futur – via l’activisme artistique ou l’engagement communautaire.
Dans ce contexte, la Welfare of Future Generations Act (loi galloise sur le bien-être des générations futures) permet – lentement mais sûrement – à l’art et à la culture de prendre la place qui leur est due, au même titre que d’autres aspects de la vie quotidienne, comme la santé, le logement, l’éducation ou encore l’environnement. L’impact de cette loi est visible dans certains projets, comme dans « The Future Wales Fellowship », lancé cette année par l’Arts Council of Wales et NRW (Natural Resources Wales).* Cette initiative regroupe huit artistes, mais aussi des scientifiques renommé·e·s et des intellectuel·le·s spécialisé·e·s dans les enjeux environnementaux et les pratiques durables : ensemble, iels tentent de remédier au problème du changement climatique. Les artistes se focaliseront sur l’impact du changement climatique dans notre quotidien, tout en questionnant la façon dont nous nous connectons à la nature et – par conséquent – envisageons le changement climatique.
Entre Pâques et la semaine dernière, le dernier spectacle de la compagnie NoFit State Circus, « Sabotage » (dirigé par Firenza Guidi) a voyagé dans quatre lieux gallois, apportant à point nommé un soupçon de subversion au cirque contemporain de grande envergure. Décrivant l’influence de nos luttes et privilèges sur nos parcours individuels, le spectacle abordait les thématiques de séparation et d’appartenance, nous rappelant que, pour nous faire entendre, il nous faut parfois faire front et contester l’ordre établi.
Galloises comme anglaises, les voix du cirque semblent ici s’intensifier et resserrer leurs liens. De nombreux projets innovants locaux ont bénéficié du soutien de « Connect and Flourish » : lancé par l’Arts Council of Wales, ce programme a permis à des organisations artistiques de nouer des relations avec les communautés et les milieux non artistiques. Circus Village en est un exemple : organisé en 2021, ce projet n’a eu de cesse, depuis lors, de dynamiser les ambitions et les aspirations dans ce secteur – une deuxième édition est même prévue pour 2023 ! Développé et organisé principalement par NoFit State Circus, Circus Village est piloté conjointement par divers partenaires représentant l’ensemble du secteur circassien gallois. Si les demandes de financement aboutissent, l’Écosse et l’Angleterre joueront également un rôle actif dans ce projet. En 2023, l’édition post-COVID de Circus Village pourra multiplier les rencontres et inviter les plus extraordinaires individus et compagnies d’Europe et d’ailleurs – un vivier de connaissances et d’expertise qui bénéficiera à tou·te·s les participant·e·s. En dépit (ou au mépris) du Brexit, les arts de la rue ne cessent de resserrer leurs liens entre le Pays de Galles et l’Europe, avec le soutien de Wales Arts International et de nombreux partenaires internationaux au gré des différents projets.
En collaboration avec 101 OUTDOOR ARTS et Bettina Linstrum (Arts Agenda), l’équipe d’Articulture a par exemple créé cette année « Toolbox International », un programme de développement de producteurs axé sur les arts de la rue / dans l’espace public. Dans le cadre de ce projet, deux créateurs gallois – Iwan Glyn Williams (Ffiwsar) et Kama Roberts – ainsi que d’autres producteurs écossais, portugais, danois et catalans, prennent le temps de s’investir professionnellement avec le soutien d’autres producteurs et spécialistes européens. Nous attendons impatiemment des nouvelles de ce projet, qui s’achèvera en fin d’année !
Le week-end dernier avait lieu le dernier volet de Four Nations Outdoor Arts, un projet de développement au cours duquel un collectif d’artistes écossais, anglais, gallois et irlandais a créé de nouvelles œuvres d’art de la rue, qui feront ensuite le tour des festivals dans les quatre nations : Surge Festival (Écosse), Spraoi (Irlande), Green Man (Pays de Galles) et Out There (Angleterre). Point d’orgue de cette collaboration, une résidence de trois jours a réuni artistes et accompagnateurs·trices professionnel·le·s autour de la création, de la production, du marketing et du cinéma de guérilla, avec la participation de représentant·e·s de festivals et d’ARTiculation Scotland, d’Articulture Wales, d’ISACS Ireland et d’Outdoor Arts UK. Deux œuvres d’artistes galloises ont émergé de cette résidence. La première, « Tidal » (Ofelia Omoyele Balogun et Kim Noble), est un spectacle de théâtre et de danse qui souligne l’importance des passerelles et des liens entre les connaissances anciennes. La seconde, « Sound Foraging », voit le duo d’artistes Ardal Bicnic – équipé de sacs à dos bardés de micros, d’hydrophones et de boucles sonores – recueillir des échantillons et des environnements sonores du quotidien auprès du public.
En 2012, lorsqu’Articulture a lancé son réseau d’arts de la rue au Pays de Galles, le monde merveilleux (mais restreint) des arts de la rue semblait se limiter aux villes du littoral : trop souvent, nous n’entendions parler des événements ou performances (même les plus extraordinaires) qu’une fois leurs dates passées. Dix ans après, les choses ont bien changé.
Rien que le week-end dernier, j’ai assisté à trois fabuleux spectacles non loin de chez moi, dans les Mid Wales : 1) une œuvre écrite en gallois, « Ceri Ann Arian », par Kitsch n Sync (commissionnée par le consortium WOAC 2022 d’Articulture) qui s’attaque de manière humoristique à la société de consommation ; 2) « Qwerin », un spectacle (en gallois) de danse contemporaine – et extension de la commission du WOAC 2021 – d’Osian Meilir qui célèbre joyeusement le queerness et le Welshness (qu’on pourrait traduire par « l’art d’être gallois ») ; 3) enfin, à Borth, j’ai assisté à une expérience mêlant obscurité et environnement prophétique avec l’installation sonore immersive « Listening for the Warning Notes » créée par Mark Anderson et Liam Walsh : un projet en cours tout bonnement extraordinaire, à l’heure où le crépuscule laisse place à la nuit. J’ai assisté à de nombreuses performances ici au Pays de Galles au cours des six derniers mois, même si beaucoup plus ont échappé à mon agenda. Il y aura des séances de rattrapage pour certains spectacles, comme « Aileen the Alien » (Wheelabout), mais je sais que d’autres m’auront définitivement échappé – je pense notamment à des festivals et performances in situ, comme Heuldro on Ynys Mon (Tin Shed et Cadw), Taliesin Dance Days (Swansea), Wye Valley River Festival (le long de la frontière gallo-anglaise), etc. Point d’orgue de mon été 2022, « Dadeni » aura marqué le National Eisteddfod – une performance que je n’aurai manquée pour rien au monde. Après une édition annulée en 2020 et seulement virtuelle en 2021, l’Eisteddfod – l’un des plus importants festivals culturels européens, qui se déroule chaque année dans un lieu différent – a fêté son grand retour en 2022. Produit par Zoe Munn, « Dadeni » (« Renaissance » en gallois) a ouvert de la manière la plus émouvante qui soit le festival culturel gallois le plus emblématique. Créé en collaboration avec le Gorilla Circus (Royaume-Uni) et co-créé par Ezra Trigg et la chanteuse-compositrice Casi Wyn, actuelle Bardd Plant Cymru (titre régulièrement remis à des poètes de langue galloise pour les enfants), ce spectacle de cirque a vu la participation d’artistes de la compagnie Cimera (Pays de Galles du Nord), de l’assistante réalisatrice Nikki Hill (Galles du Nord) et de l’extraordinaire funambule galloise Ellis Grover. Depuis l’instant où les artistes de Syrcas Byd Bychan emmènent les spectateurs vers le lieu secret de l’événement, l’enthousiasme est palpable dans l’audience, prise d’un attrait pour la nouveauté et l’inconnu. De par sa beauté et sa capacité à éblouir le public, ce spectacle est, pour moi, l’un des événements phare du Pays de Galles. Les connexions se multiplient : qu’en sera-t-il prochainement ? Pour le Pays de Galles, l’avenir s’annonce radieux. À l’image du retour du festival Big Splash cette année à Newport, nous espérons montrer, grâce à notre travail mené avec Newport Live et The Riverfront, comment arts de la rue et régénération des centres-villes vont de pair.
Je suis impatiente de découvrir les résultats de deux autres projets « Connect and Flourish » – Dyffryn Dyfodol (Vallée du futur) a exploré les collaborations avec les communautés rurales de Conwy en utilisant l’art comme vecteur d’exploration des expériences, pensées et idées vécues par les individus. J’assisterai également à la dernière représentation d’AberGêm à Aberystwyth, un projet qui transformera les rues de la ville en un véritable terrain de jeu grandeur nature. Ce projet est le fruit de la collaboration entre Articulture et l’Abersystwyth Arts Centre, le festival Boomtown Fair, Mind Aberystwyth* et le conseil du comté de Ceredigion. Et ce n’est pas tout : - J’ai hâte d’assister à « Finding Houdini », un projet en cours de création de la Tin Shed Theatre Company sur le thème des ponts transbordeurs d’Europe, qui posera ses valises ce mois-ci à Rochefort (Charente-Maritime) pour travailler avec la compagnie Pyramid et l’Attroupanou, un collectif local. Un cas d’école pour « Watch this Space », assurément ! Pour conclure sur une métaphore organique, j’aime voir des graines être plantées en terre, être arrosées et pousser lentement... Autrement dit, j’aime voir des connexions se créer et grandir. Les arts de la rue se sont exprimés haut et fort cette année au Pays de Galles. Événements et créations ont été très nombreux, avec un vivier de créatif·ve·s (et de rêves) toujours plus diversifié – un terreau de connexions profondes, fructueuses et ambitieuses. Petit par sa superficie mais grand par sa voix toujours forte et connectée ainsi que pour sa créativité en arts de la rue, le Pays de Galles joue un rôle clé sur un échiquier artistique mondial toujours plus varié. Pour ma part, j’ai hâte de rencontrer des artistes émergents cet automne partout au Pays de Galles : des petites graines qu’il me tarde de voir grandir et s’épanouir. Naturellement, j’adore les couchers de soleil, mais c’est - avec une tasse de thé - le lever du jour et son lot de possibilités qui me motive à sortir du lit chaque matin.
* La NRW est l'organisme parrainé par le gouvernement gallois responsable de l'environnement au Pays de Galles.
* MIND est une organisation caritative nationale pour la santé mentale.
Cet article a été réalisé avec le soutien de Wales Arts International.
Annie Grundy est cofondatrice d'Articulture, une société d'intérêt communautaire qui se consacre au développement des arts de la rue au Pays de Galles. Avant Articulture, elle a travaillé dans le domaine des relations internationales et de l'événementiel pour une autorité londonienne, avant de s'orienter vers les festivals et les événements d'arts de la rue en tant que freelance. Son rôle au sein d'Articulture est principalement axé sur le développement de partenariats afin de concrétiser la vision de la société, à savoir que tout le monde au Pays de Galles a une chance égale de découvrir des arts de la rue de haute qualité et de profiter des avantages qu'ils apportent aux personnes et aux communautés.
écrivez-nous : infocircostrada@artcena.fr