Le changement nous entoure : nouvelles opportunités de rencontres créatrices dans les arts de la rue
Comment utiliser l’art de travailler pour la rue et l’espace public afin de le rendre pertinent pour l’époque actuelle ? Dans cet article, Simon Chatterton évoque son expérience en tant que directeur stratégique du 101 Outdoor Arts - National Centre for Arts in Public Space situé à Newbury (Royaume-Uni). De la nécessité de demander qui sont les artistes qui font le travail jusqu’à la façon dont nous pouvons les soutenir, en passant par l’influence des changements sociétaux plus larges sur notre pratique, cet article nous plonge au cœur d’un sujet essentiel : comme promouvoir l’innovation dans le secteur ?
Dans notre monde, nous évitons théâtres et salles de concert pour privilégier la spontanéité des rencontres entre public et artistes de rue. Pourtant, en dépit de l’absence d’infrastructures physiques, risquons-nous encore de devenir ce type d’institution inerte auquel tant d’entre nous ont tourné le dos ? Comment garder nos idées novatrices au moment d’introduire de nouvelles perspectives et opportunités de rencontres créatrices ? Après 25 ans d’expérience dans les arts de la rue, ces questions m’apparaissent aujourd’hui plus essentielles que jamais.
Ironiquement, les années passées par bon nombre d’entre nous à lutter pour la reconnaissance de cette discipline peuvent parfois conduire à une mentalité de cloisonnement, en contradiction avec l’ouverture qu’offre la rue et la nature égalitaire des interactions que nous voudrions créer. La croissance inévitable de notre secteur entraîne celle du pouvoir, des privilèges et des hiérarchies – formels et informels.
Pour maintenir notre secteur en vie et préserver sa vitalité, nous devons surmonter ces défis, et ce, en regardant vers l’extérieur et en créant un espace créatif à la fois inclusif et équitable, capable d’embrasser activement la nouveauté, la différence et la diversité.
Tout indique que l’innovation naît le plus souvent d’une diversité de personnes et de points de vue : aussi, l’adoption de l’éventail le plus large possible d’œuvres réalisées par l’éventail le plus large possible d’individus doit certainement être une condition préalable à notre santé créatrice collective.
Dans le secteur, nous affrontons également des défis pratiques en matière d’innovation, comme des délais serrés et des budgets encore plus restreints. Si nos organismes de financement de fonds apprécient souvent l’idée de nouveauté et d’innovation, ils n’apprécient pas toujours le risque lié à l’expérimentation. Pourtant, nous savons que pour innover, il faut échouer, s’adapter et réessayer. C’est pourquoi, depuis plus de huit ans, nous bâtissons au 101 Outdoor Arts un environnement qui vise à soutenir l’exploration créatrice, la collaboration et le risque artistique.
Comme l’a déclaré Florent Bergal du collectif circassien in situ Le G. Bistaki, « Au Royaume-Uni, les artistes sont habitué·e·s à rechercher l’efficacité en raison d’un financement limité et de la nécessité de produire un spectacle, ce qui s’avère souvent contre-productif. Ce n’est qu’en prenant le temps de la recherche sans se soucier des résultats que l’on peut découvrir des idées fortes. Pour cela, il faut investir du temps dans l’environnement adéquat pour pouvoir se perdre et se retrouver : s’amuser vraiment – c’est-à-dire trouver tout ce qui est possible de faire avec un objet, une situation, un endroit, et être prêt·e à explorer et à abandonner beaucoup d’idées avant de trouver les bonnes. »
Notre mission au 101 Outdoor Arts consiste à créer un espace pour que les artistes puissent se retrouver ensemble et avec d’autres qui travaillent dans l’espace public afin de développer des performances et d’explorer des pratiques. Nous sommes focalisé·e·s sur l’idée que l’échange est un terreau d’innovation. Nous soutenons divers artistes et divers travaux, avec la conviction que plus l’éventail de personnes est large, plus les idées seront intéressantes. À cette fin, nous proposons un centre de création de 2 000 m² avec hébergement sur place pour 15 artistes, des studios plus petits et un atelier de fabrication. Nous accueillons jusqu’à 60 résidences par an.
Parallèlement à nos résidences de création, nous animons toute l’année des laboratoires de création et des colloques, qui permettent aux artistes d’apprendre aux côtés de spécialistes et les uns des autres, mais aussi d’explorer les pratiques de travail pour l’espace public au sens large. Nous savons qu’il n’y a pas un seul moyen de créer du travail en plein air : aussi, ces événements peuvent aider à créer d’autres possibilités, directions et perspectives.
À travers nos laboratoires, nous souhaitons explorer une approche dynamique et pluridisciplinaire, en brisant les conceptions classiques des arts de la rue et en offrant aux artistes une boîte à outils leur permettant de dialoguer avec le public et le lieu.
Dans ces laboratoires, nous abordons des sujets qui, selon nous, sont au cœur de l’évolution de la pratique extérieure : le numérique, la dramaturgie, le design, la mise en scène, mais aussi de nombreuses techniques spécialisées - comme les marionnettes et la pyrotechnie - qui peuvent aider les artistes à explorer de nouvelles manières de réaliser des œuvres en plein air. Par exemple, pendant trois jours l’été dernier, un laboratoire du collectif français Le G. Bistaki a permis aux participant·e·s de s’immerger dans la démarche de la compagnie visant à créer des relations avec le public et le lieu, ainsi que dans la façon dont le collectif travaille pour construire une pièce.
John Lee de Fuse Performance a participé à ce laboratoire, et a déclaré à ce sujet : « Le G. Bistaki nous a montré de nouvelles façons d’aborder l’espace public grâce à l’échange ludique d’objets habilement manipulés, en harmonie totale avec l’autre et en écoute réactive vis-à-vis du lieu. Nous avons appris à travailler avec précision et neutralité, et à accepter l’absurdité tout en évitant la théâtralisation. Nous avons exploré les possibilités offertes par différentes situations, et nous avons quitté les ateliers armé·e·s de nouveaux outils et de nouvelles méthodes de travail, afin de nous aider à bâtir nos futures performances. »
En ces temps de crise environnementale, l’innovation et le changement sont essentiels à la survie de notre écosystème. Les artistes doivent apprendre à créer et à partir en tournée de manière plus durable, mais aussi à examiner comment ils peuvent utiliser leur travail pour aider le public à valoriser la nature, à apprécier l’interdépendance de la vie et à s’interroger sur leur impact vis-à-vis de la planète. Les artistes occupent une position unique qui leur permet d’encourager le public à voir notre monde différemment. Face à ces défis, nous pensons qu’il est important d’aider les artistes à explorer de nouveaux modèles de tournée, à apprendre à travailler avec des matériaux naturels et recyclés et, enfin, à savoir comment communiquer efficacement sur les problèmes liés à la crise climatique.
Notre société est confrontée à la montée des populismes, des inégalités économiques et des problèmes sociaux. Toujours plus privatisé, surveillé et légiféré, l’espace public voit sa nature évoluer rapidement. Le public est de plus en plus isolé et, pour remédier à cela, les artistes explorent des projets qui portent spécifiquement sur les gens et les lieux. Animé·e·s par la volonté d’être plus que de simples attractions dans un parc à thèmes dédié à la culture de consommation, les artistes cherchent de plus en plus à co-créer avec les participant·e·s, mais aussi à penser qu’une collaboration étroite avec des communautés et des lieux spécifiques soulève également de nouvelles possibilités créatrices pour eux en tant que praticien·ne·s.
Dans le monde des arts, les conversations et les collaborations entre artistes de cultures différentes ont toujours été au cœur de l’innovation. Pour de nombreuses personnes travaillant au Royaume-Uni et avec le Royaume-Uni, le Brexit a détruit ou désactivé de nombreux systèmes existants d’échanges culturels internationaux : aussi, il est devenu plus important que jamais d’établir de nouvelles relations. Les programmes d’échanges culturels et de développement professionnel sont une étape importante pour rétablir la confiance et le dialogue, ainsi que pour partager les bonnes pratiques à l’échelle internationale.
Défenseurs de l’environnement et urbanistes comprennent tous de plus en plus le pouvoir qu’ont les arts, dans les espaces publics, à créer des expériences transformatrices, à changer la façon dont le public pense et ressent, et à apporter un changement social significatif.
John Watkins, directeur général de la National Association for Areas of Outstanding Natural Beauty (Royaume-Uni), explique : « Nous avons adopté une stratégie nationale des arts qui reconnaît que les gens peuvent, à travers les arts, approfondir leur lien avec la beauté naturelle du paysage. L’art est l’occasion pour de nouveaux publics, peu familiers avec les arts et ces paysages, d’expérimenter ce que la beauté naturelle signifie pour eux, en leur permettant de s’exprimer dans ces lieux spéciaux. »
Cet intérêt manifesté par d’autres organisations non artistiques travaillant dans l’espace public crée pour notre secteur de réelles opportunités d’engagement dans un monde plus large, ce qui offre de nouvelles opportunités de connexion avec le public et de nouveaux contextes de créativité et d’innovation. En développant ces partenariats, nous pouvons en apprendre davantage sur notre monde, bâtir des relations avec des personnes et des communautés que nous n’aurions autrement jamais rencontrées, trouver de nouvelles inspirations artistiques et amener notre désir de travailler dans l’espace public vers une conclusion plus riche.
Au même titre que l’innovation, des mots comme « pertinence », « renouvellement » et « réinvention » décrivent peut-être mieux la façon dont je vois le travail des artistes évoluer face au monde qui les entoure – évolution qui n’est pas toujours le fruit d’un éclair de génie ou d’un exploit isolé. Nous vivons des moments étranges et difficiles, mais l’art a toujours trouvé des moyens de s’épanouir dans l’adversité et l’opposition. De nombreux artistes trouvent leur place en s’exprimant et en abordant les questions qui les préoccupent. Le théâtre de rue a toujours été un miroir de notre société et, dans un monde en perpétuel mouvement, il est de notre responsabilité de regarder, sinon toujours vers l’avant, du moins autour de nous si nous voulons jouer notre rôle dans le façonnement de notre art, mais aussi celui du monde dans lequel nous vivons.
Simon Chatterton est acteur central du développement stratégique de l’art dans l’espace public au Royaume-Uni. Il est le fondateur et le directeur artistique du 101 Outdoor Arts - National Centre for Arts in Public Space, un espace de création de 2 000 m² et l’un des principaux centres britanniques pour le développement des artistes et de l’innovation en matière d’arts de la rue. Directeur et producteur de festivals expérimenté, Simon travaille depuis vingt ans à la création d’événements innovants en plein air et in situ dans le cadre de festivals internationaux et de programmes culturels.
Valentina Barone est une gestionnaire culturelle et éditrice indépendante, spécialisée dans le secteur du cirque contemporain et du spectacle vivant. Depuis 2021, elle est directrice des relations internationales du CircusDanceFestival à Cologne (Allemagne). Elle est titulaire d’un BA en Techniques du spectacle vivant ainsi qu’un Master en design relationnel. Elle collabore avec le réseau international Circostrada (France) et est membre active de la Cirkus Syd’ Circus Thinkers Platform (Suède). Valentina est la coordinatrice de la plateforme numérique internationale Around About Circus.
écrivez-nous : infocircostrada@artcena.fr