Les chapiteaux : quel avenir pour le cirque ?

Un article écrit par
Nikolaos Verginis
01 juin 2022
6 min

Pourquoi le cirque doit devenir (plus) durable ? À quoi ressemblera le chapiteau du futur ? Quelles sont les valeurs du cirque contemporain et comment déterminent-elles son influence ?
Passionnés et professionnels du cirque ainsi que d’autres secteurs connexes se sont réunis à Tilbourg (Pays-Bas) pour débattre et imaginer les chapiteaux de demain, dans un monde où l’urgence climatique force chacun à réévaluer son approche et ses priorités. Co-organisé par Circostrada et Festival Circolo, Spark est un laboratoire pluridisciplinaire qui a donné naissance à un plan d’action concret.

Spark a démarré par un symbole fort et la volonté de donner et de faire grandir : chaque participant·e a planté des graines après avoir présenté au groupe sa contribution au débat et les choses qu’iel souhaite tirer de ces échanges. Des post-it colorés et des marqueurs ont ensuite été distribués à tous les participant·e·s : Spark pouvait alors commencer. Organisateurs·trices de festivals, architectes, designers, producteurs·trices indépendant·e·s et artistes de cirque ayant voyagé et exercé leur métier partout dans le monde ont tous été conviés – représentant des cultures, mais aussi des pratiques différentes. Il semblait vital d’inclure toutes ces pratiques pour une raison précise : le cirque (itinérant, notamment) représente aujourd’hui encore un spectacle unique en son genre, avec son lot d’ambiguïtés et d’enjeux non résolus. 

Inaugurant la première journée, Tom Rack (NoFit State Circus) a évoqué l’incohérence des réglementations et des normes ainsi que l’interprétation subjective des directives locales. Il a également souligné la nécessité d’un cadre certifié quasi-universel, accepté dans la plupart des pays. Un tel cadre pourrait permettre au secteur d’éliminer les incertitudes en matière de mobilité internationale, dans un secteur où la mise en piste et la représentation en elle-même dépendent toujours d’une personne locale chargée de certifier la sécurité et la conformité du spectacle. Tom a évoqué un autre point sensible : la réduction des financements a plongé tout le secteur culturel dans une précarité financière – une situation encore plus grave pour les artistes britanniques qui subissent d’importants surcoûts liés au Brexit. Pour les artistes circassien·ne·s notamment, la nécessité de poursuivre les voyages est évidente au vu des caractéristiques intrinsèques du cirque, mais aussi du besoin de toucher les classes populaires qui n’assistent pas forcément à d’autres formes de spectacle (le théâtre, par exemple). Si les tournées sous chapiteau semblent a priori économiquement avantageuses (les participant·e·s sont hébergé·e·s dans des caravanes), le problème réside – premièrement – dans les émissions de CO2 dues au transport et – deuxièmement – dans la consommation énergétique du chapiteau et des différentes représentations. Cette présentation courte mais détaillée de Tom a planté le décor pour évoquer certains enjeux prioritaires, qui ont été débattus dans les premiers groupes de discussion spontanément mis en place.

Après plusieurs débats passionnants inter-groupes et une discussion globale portant notamment sur le partage des ressources et les meilleures pratiques, le besoin de réglementations et de directives collectives ou encore l’accumulation des valeurs circassiennes en fonction de leur impact, une deuxième série de présentations a révélé une urgence : celle de se tourner vers des idées et des pratiques circassiennes innovantes pour les chapiteaux d’aujourd’hui et de demain. Après quatre ans de travaux, Anne-Agathe Prin (Compagnie Ea Eo, Les Fauves) et Félix Chameroy (Dynamorphe) ont présenté leur proposition : une tente gonflable ultra-mobile aux allures de station spatiale, fabriquée en matériaux légers et surtout sans fixations au sol, éliminant ainsi les constructions lourdes. Outre leur vision artistique, Anne-Agathe et Félix ont présenté les principaux défis et obstacles qu’ils ont rencontrés, comme – là encore – des directives insuffisantes (un chapiteau gonflable n’entre pas dans la même catégorie que les autres tentes), mais aussi des enjeux environnementaux, financiers et pratiques différents, parfois indissociables des nouvelles idées et pratiques. 

Le designer néerlandais Rik Makes a ensuite pris la parole pour présenter un concept innovant : des matériaux biodégradables qui font partie du cycle naturel et qui, une fois mis au rebut, peuvent nourrir les animaux non humains. Dans l’optique de la nature nomade du cirque, ce concept a posé une nouvelle question, débattue au sein de nouveaux groupes de discussion : comment créer un chapiteau « fertile » une fois mis au rebut ?

 

« Le cirque peut montrer l’exemple » : cette affirmation résume bien l’évidente conclusion (en forme de question) après cette deuxième série de débats. Comment le cirque contemporain doit devenir ambitieux et créatif, prendre des risques – littéralement et métaphoriquement – en permettant l’émergence et l’expérimentation de nouvelles idées et pratiques, en donnant de l’espace à certains enjeux (inclusion du public, accessibilité, développement durable et sources alternatives de financement autonome), tout en préservant certaines de ses valeurs traditionnelles ? Le cirque et les arts du spectacle font toujours partie intégrante d’une communauté : ainsi, Festival Circolo a emmené les participant·e·s dans une brève visite de Spoorpark (où le festival aura lieu cette année), de LocHal (une ancienne gare convertie en bibliothèque et espace multi-fonctionnel) et de Doloris Meta Maze, un labyrinthe dans lequel les participant·e·s peuvent déambuler.

La thématique du labyrinthe est la métaphore parfaite du cirque contemporaine et des arts du spectacle en général : le public du Doloris Meta Maze doit faire preuve de patience et de créativité pour trouver la sortie – des qualités également requises chez tous les artistes circassiens. Cette thématique a trouvé un écho au début de la deuxième journée, lorsque les participant·e·s ont dû réfléchir à des propositions concrètes afin de répondre aux enjeux du secteur en général, et des chapiteaux de cirque en particulier. À l’issue de cet exercice, les participant·e·s se sont intéressé·e·s aux valeurs centrales du cirque contemporain, un secteur particulièrement épanouissant et émancipateur pour tous ses acteurs·trices : mobilité, relations avec la communauté, engagement, inclusion, aspect ludique, prise de risque, absence de langage, égalité, temporarité, passion, créativité, style de vie, etc. Trois idées auront émergé de ce tour de table : l’expérience circulaire, la métaphore du cercle (symbole de la confiance au sein de la famille du cirque) et la tente comme valeur d’idéal. 

En se penchant sur les impacts potentiels du cirque (sa capacité à inspirer et questionner son public, sa responsabilité sociale intrinsèque, sa nature solidaire et révolutionnaire, etc.), le groupe est parvenu à un consensus : bien que déjà relativement écologique, le cirque s’appuie globalement sur un leitmotiv – pouvoir continuer sur une (plus longue) période de temps – qui est souvent une question de survie à bien des égards. Cette définition du développement durable souligne une nécessité pour les compagnies de cirque : améliorer leur durabilité environnementale – en évaluant leur empreinte écologique et en recueillant des données – mais également leur pérennité financière, artistique et technique. 

Quatre groupes de travail (Directives/Outils pratiques, Durabilité environnementale, Impact social et Pratique artistique) ont tenté provisoirement de traduire les concepts évoqués lors de ces deux journées en actions à court, moyen et long termes. Des dizaines de post-it et de marqueurs plus tard, et après un tour de table des différents sujets ayant permis de recueillir différents commentaires, un premier constat s’impose : Circostrada et les professionnels du cirque ont jeté les bases des prochaines mesures à prendre au cours des différentes étapes du processus, tout en gardant des liens étroits et partageant les meilleures pratiques et ressources afin de cartographier ce secteur le plus efficacement possible.

L’événement a permis de fixer plusieurs grandes priorités, la première étant la création d’une « table des matières » : un « livre de recettes » réunissant conseils et meilleures pratiques, mais aussi les diverses réglementations nationales, ainsi qu’une carte des compagnies et festivals de cirque pouvant accueillir ou être accueillis en tant que chapiteaux. La deuxième priorité concerne l’aspect écologique des cirques itinérants : la collecte de données mesurant l’empreinte des compagnies, mais aussi des idées créatives et écologiques relatives au transport des chapiteaux et du public. La troisième priorité porte sur l’impact social du cirque contemporain, avec une action directe principale : réinviter les décideurs·ses politiques dans le débat en compagnie des artistes et des professionnel·le·s – tout en évoquant également des stratégies de développement et d’inclusion du public. La quatrième et dernière priorité concerne la pratique artistique en tant que tel, avec une proposition clé : inviter sous le chapiteau des professionnel·le·s de secteurs et disciplines divers·es (danse, théâtre, science, architecture), mais aussi organiser des résidences d’artistes sous tente, afin de rendre les chapiteaux plus visibles et les communautés plus vivantes. Ne l’oublions pas : le cirque contemporain ne doit jamais oublier ses racines ni les valeurs qui l’ont façonné, et doivent perdurer. C’est une maison sans clés.

 

DECOUVREZ LE PODCAST SPARK#1 SUR LE FUTUR DES CHAPITEAUX !

Nick Verginis est un journaliste culturel et chercheur grec, ayant souvent travaillé dans des magazines culturels. Né et élevé à Athènes, avec une formation en études des médias, il est actuellement basé à Amsterdam, où il est sur le point d'obtenir son master de recherche sur le leadership culturel à l'université de Groningue. Parlant grec, anglais, italien et un peu de norvégien et de néerlandais, Nick souhaite réfléchir, faire des recherches et écrire pour le cirque, avec un intérêt particulier pour les résidences artistiques, leur organisation et modèles potentiels.