Une rencontre spontanée avec les arts de la rue : tendances et défis des festivals d’été aux Pays-Bas.
Ce n’est pas nouveau : dans les espaces publics, les événements en plein air et les festivals, l’art représente un point de rencontre spontané entre le grand public et la culture, en particulier pour celleux qui n’ont pas les moyens d’acheter un billet d’entrée. Aussi, la fonction directe de ces événements reste essentielle pendant les périodes difficiles. Les Pays-Bas concentrent, sur un petit territoire, une grande variété de façons d’aborder, d’apprécier et d’organiser des spectacles dans les rues d’une ville. Grâce à un dialogue à plusieurs voix réunissant acteur·rice·s des arts de la rue et directeur·rice·s artistiques, cet article recueille des points de vue sur leurs choix de programmation, leurs défis culturels et les nouvelles modalités possibles d’organisation d’événements, avec la complicité de leurs publics. Soyons clair·e·s, le mauvais temps n’existe pas : il s’agit simplement de porter les bons vêtements pour y faire face !
Une courte préparation, une forte implication du public et plus d’enthousiasme que d’argent. Des pierres angulaires du secteur des arts de la rue dans toutes les parties du monde depuis des années. Si les artistes de cirque contemporain se remettent souvent en question, se demandant « Quel est mon public ? » tandis que les directeur·rice·s de théâtre s’émerveillent devant le cirque contemporain en raison de son caractère spectaculaire, quelle est la perception des arts de la rue dans le secteur au sens large ? Il y a souvent un paradoxe au cœur de l’insécurité de ce qu’ils représentent, même s’ils impliquent de larges publics. Quelles sont les responsabilités artistiques et organisationnelles dans les coulisses des rencontres spontanées avec les spectateur·rice·s ? Cette position difficile a été un point de vue stimulant pour développer une variété de formats (qui ont lieu pendant l’été aux Pays-Bas), recueillant de nombreuses participations internationales et nourrissant la relation avec le territoire, apportant dans différents contextes la beauté des rencontres et la célébration du temps libre passé ensemble.
Il y a souvent un paradoxe au cœur de l’insécurité de ce qu’ils représentent, même s’ils impliquent de larges publics. Quelles sont les responsabilités artistiques et organisationnelles dans les coulisses des rencontres spontanées avec les spectateur·rice·s ?
Selon Casper De Vries d’Entr’act (organisation facilitant l’organisation de festivals enchevêtrant les relations à travers l’Europe), le développement des arts de la rue aux Pays-Bas reflète une situation controversée en fonction de leur autonomie par rapport au financement national. Sur un ton provocateur, nous abordons les vibrations anticapitalistes de la culture et sa façon contradictoire de s’approprier les tendances et de les utiliser pour recevoir des subventions. Les artistes réfléchissent sur la société. S’iels obtiennent de bons résultats, iels sont financé·e·s. Si ce n’est pas le cas, iels sont simplement une entité commerciale. Dans tous les cas, iels ont consacré plus de temps à leur travail qu’à un simple commentaire sur les réseaux sociaux. Concernant les festivals, ils deviennent intéressants lorsqu’ils présentent des artistes qui réfléchissent sur la société. Ils amusent, détournent, interrogent, dérangent. Ils rassemblent les gens. Du point de vue des arts de la rue, les Pays-Bas souffrent surtout du manque de reconnaissance dont a fait face le cirque contemporain à l’échelle nationale au cours des dernières années.
En examinant les artistes dans ses effectifs, Tanja Ruiter, codirectrice de HH Producties, s’interroge sur le fait que seules deux compagnies néerlandaises sont actives au niveau international dans le secteur des arts de la rue. Avec pour mission de diffuser dans le monde des œuvres d’art de grande qualité, l’agence a pour vocation d’étendre son réseau en apportant aux artistes le meilleur contexte pour s’épanouir. Le choix de travailler davantage avec des propositions étrangères plutôt qu’avec des résident·e·s néerlandais·es reflète la reconnaissance réelle du secteur. Il existe encore une autre vision des œuvres d’art in situ, souvent considérées comme plus pertinentes que le théâtre de rue. Les arts de la rue constituent une option intéressante s’ils offrent de la qualité, mais sont parfois perçus comme un simple passe-temps. De nombreux artistes de théâtre de rue néerlandais·es décident de se produire durant leur temps libre et de conserver un emploi stable le reste de la semaine. D’autre part, les aspects multidisciplinaires du cirque contemporain se renforcent aux Pays-Bas grâce à l’évolution des écoles professionnelles qui poussent le secteur à évoluer et à se structurer.
Mettre en contact direct, dans un esprit de découverte, la pluridisciplinarité des arts de la scène avec un public non sensibilisé : tel est l’objectif de Spoffin, festival d’arts de la rue basé dans le centre médiéval de la ville d’Amersfoort. Outre les spectacles de cirque contemporain en plein air, la danse, le théâtre et la performance sont de plus en plus présents. Le contenu se produit directement dans les rues, adaptant parfois son format à la nécessité de la ville et révélant sa puissance brute plutôt que d’être protégé comme dans un lieu fermé. Selon le directeur artistique Alfred Konijnenbelt, cet ensemble de connaissances créatives et multidisciplinaires est essentiel pour familiariser les gens à la variété des arts du spectacle. Il n’est pas courant que les arts de la rue se fondent dans la danse de rue, proposant généralement des concerts de musique en direct. En tant que directeur artistique, Alfred ressent la nécessité de laisser les gens découvrir spontanément les arts du spectacle. Accueillir des spectacles dans leur dimension immédiate évite de devoir penser à l’achat d’un billet trois mois à l’avance. Par le biais d’un formulaire et d’un code QR présent sur les affiches, les spectateur·rice·s votent pour leur spectacle préféré, permettant à la compagnie choisie de remporter une coproduction. Le lauréat de cette année est le collectif néerlandais DansBlok, un résultat qui a surpris l’organisation elle-même. Ce n’est pas un spectacle facile, centré autour de la connexion et de la confrontation entre deux femmes dialoguant dans un carré blanc au sol.
Le contenu se produit directement dans les rues, adaptant parfois son format à la nécessité de la ville et révélant sa puissance brute plutôt que d’être protégé comme dans un lieu fermé. Cet ensemble de connaissances créatives et pluridisciplinaires est essentiel pour familiariser les gens à la variété des arts du spectacle.
La coopération réelle dans le secteur est également représentée par l’Association des festivals de théâtre en plein air des Pays-Bas (VBFN), qui vise à améliorer la qualité et la position des festivals de théâtre en plein air néerlandais. Représentant 15 festivals, l’association contribue activement à favoriser le partage des connaissances et de l’expérience entre ses membres, à améliorer leur contenu, leur financement et leur promotion, ainsi qu’à stimuler la création de productions néerlandaises dans l’espace public et de styles croisés.
Avec une équipe de six personnes, Adrie Van Essen de Deventer Op Stelten a pris ses fonctions de directeur artistique il y a moins de deux ans et a dirigé les deux dernières éditions. Il se souvient très bien d’une première édition particulièrement difficile, où il avait dû monter le programme en l’espace de quatre mois seulement, tout en faisant face à des attentes élevées. Le festival, qui existe depuis plus de vingt-cinq ans et bénéficie d’un financement structurel, est le plus important du pays. Selon Adrie, le public du festival est plutôt réactif et a une idée précise de ce qu’il veut voir. Les spectateur·rice·s savent ce qu’iels veulent voir : iels sont informé·e·s et exigeant·e·s. Le public peut être divisé en deux catégories : d’un côté, celleux qui veulent quelque chose de spectaculaire et de divertissant ; et de l’autre côté, celleux qui s’intéressent à une sélection de spectacles plus nuancés et plus intimes. De par ses choix artistiques, Adrie tente de répondre à ces deux tendances et de bâtir un programme combinant ces deux aspects sur trois jours. La ville dispose de grandes places ouvertes pouvant accueillir un large public. Contrairement à Spoffin (qui utilise des scènes basses pour que les gens soient plus en contact avec les spectacles), Deventer utilise des scènes surélevées, adaptant la configuration de la ville pour faciliter la visibilité des spectacles. Comme souvent dans ces concours à géométrie variable, l’accessibilité des spectacles à tou·te·s les spectateur·rice·s possibles est l’une des bonnes pratiques mises en place. En raison de la coexistence du festival d’arts de la rue et d’un festival de musique dans la même ville, Deventer Op Stelten n’accueille pas de spectacles musicaux. À l’avenir, le directeur artistique souhaiterait prolonger le festival de quelques jours en impliquant non seulement la ville, mais aussi les villages voisins pour élargir l’audience territoriale.
Stephan Bikkels est responsable de l’organisation du Theaterfestival Boulevard depuis trois ans. Ce festival de théâtre basé dans le sud des Pays-Bas instaure un environnement multidisciplinaire. L’accent n’est pas mis sur les arts de la rue, mais en tant que scène, le podium du parc représente le point crucial de rencontre avec le public (nombreux) de la ville. Placée au cœur du site du festival, la scène permet au public d’entrer gratuitement en contact avec un spectacle. C’est pourquoi les choix artistiques de Stephan se concentrent sur l’accessibilité à tous·tes. Avec ce type de cadre, il tente de combiner les extrêmes. Jusqu’où pouvons-nous aller dans l’abstraction ou le risque, et comment pouvons-nous considérer la performance comme autre chose qu’un simple divertissement ? En raison de son emplacement et de la pandémie de Covid-19, la scène a vu sa forme évoluer au fil des ans. Pour la dernière édition, le podium est ainsi devenu une scène à 360° entourée de bancs. En parlant d’extrêmes, il arrive que les spectacles accueillis sur le podium du parc ne soient pas nécessairement conçus pour l’extérieur. Pour stimuler la créativité de leurs auteur·e·s, les artistes qui avaient jusqu’alors imaginé le spectacle dans une boîte noire découvrent leurs créations dans un environnement différent. Étonnamment, cela peut très bien fonctionner.
Il arrive que les spectacles accueillis sur le podium du parc ne soient pas nécessairement conçus pour l’extérieur. Les artistes qui avaient jusqu’alors imaginé le spectacle dans une boîte noire découvrent leurs créations dans un environnement différent. Étonnamment, cela peut très bien fonctionner.
Se déroulant sur trois jours, le festival Reuring offre un nouvel aperçu des arts de la rue. Son directeur artistique, Adriaan Bruin, parle de la capacité du Reuring à impliquer les citoyen·ne·s. Dans la petite ville de Pumerend, près d’Amsterdam, la participation du public est essentielle pour relier les activités du festival à la communauté de bénévoles qui y contribue activement. Dans une petite ville qui n’accueille habituellement pas de grands événements, le festival est une fierté pour ses habitants. 98 % des spectacles sont gratuits grâce au soutien du gouvernement local. L’ouverture se fait parfois en présence d’invité·e·s internationaux·ales et nationaux·ales, tandis qu’une scène est consacrée à la découverte de talents locaux. L’équipe du festival est composée de trois personnes, tandis que les autres postes sont tous occupés par des bénévoles. Avec ses nombreux spectacles de musique et de théâtre de rue, la formule, simple et accessible, tente de combiner les deux formats autant que possible. Depuis plus de 20 ans, le Reuring est un rassemblement. Abritant un amphithéâtre naturel, le parc joue un rôle essentiel pour attirer les gens. Une grande partie du public se rend directement au parc pour écouter de la musique, mais Adriaan essaie de les inciter à assister à des représentations théâtrales.
Si le cirque contemporain aux Pays-Bas a su se remettre en question et attirer l’attention, il arrive que les arts de la rue ne soient pas encore à son niveau. Ces derniers ne disposent toujours pas d’une structure productive et organisationnelle, et sont beaucoup moins sûr·e·s de leur propre valeur. De l’autre côté du spectre, leur friabilité immédiate est cruciale pour préparer le terrain à d’autres expérimentations, et c’est là – au croisement des possibilités – que se trouve la fonction d’une direction artistique avec une vision pour obtenir d’excellents résultats.
Valentina Barone est une gestionnaire culturelle et éditrice indépendante, spécialisée dans le secteur du cirque contemporain et du spectacle vivant. Depuis 2021, elle est directrice des relations internationales du CircusDanceFestival à Cologne (Allemagne). Elle est titulaire d’un BA en Techniques du spectacle vivant ainsi qu’un Master en design relationnel. Elle collabore avec le réseau international Circostrada (France) et est membre active de la Cirkus Syd’ Circus Thinkers Platform (Suède). Valentina est la coordinatrice de la plateforme numérique internationale Around About Circus.
écrivez-nous : infocircostrada@artcena.fr