20 HISTOIRES DE CIRCOSTRADA - CÉLÉBRATION DU 20E ANNIVERSAIRE DU RÉSEAU : RESEAUX FRAGILES - UN ARTICLE DE GILDAS ALEKSA

Un article écrit par
Gildas Aleksa
and edited by
John Ellingsworth
05 janvier 2024
illustration: Marion Jdanoff

Notre festival, Cirkuliacija, a vu le jour en 2017. Cette année-là, Monika Neverauskaitė, la première circassienne professionnelle lituanienne, avait terminé ses études à l’école du Lido et souhaitait présenter le spectacle de clôture de sa promo en Lituanie. Pour accueillir ce spectacle sous chapiteau, nous avons trou- vé, après de longues recherches, un espace situé dans la banlieue de Kaunas: un terrain herbeux coincé entre un conteneur à déchets et un immense immeuble résidentiel. Le choix de ce lieu a été le fruit du hasard, mais après avoir vu comment l’artiste communiquait avec la communauté de cette banlieue, nous avons commencé à organiser volontairement des spectacles dans des espaces situés en dehors de la ville. La Lituanie accueille désormais une dizaine d’artistes professionnel·le·s, parmi lesquel·le·s deux compagnies. Bien qu’elle n’abrite aucun centre dédié aux arts du cirque ni aucun programme de formation pour les jeunes dans ce domaine, elle organise deux festivals internationaux de cirque. Parfois, nous souffrons du syndrome « petit pays, petit festival », donc lorsque Circostrada nous a demandé si nous souhaitions accueillir l’assemblée générale en juin 2022, nous n’étions pas sûr·e·s d’en être capables. Si cet événement était très différent de ce à quoi nous étions habitué·e·s, cette assemblée a également été l’occasion de nombreuses premières fois pour le réseau. Pour la première fois, une assemblée générale s’est tenue dans les pays baltes. Il s’agissait de la première assemblée organisée dans le cadre du nouveau cycle de financement triennal de Circostrada, «CS body/ies». La première assemblée en présentiel après la pandémie. Et la première assemblée à avoir lieu près d’un pays en guerre. Il était impossible de faire abstraction de ce point : alors que se déroulait notre assemblée, des corps vivants étaient attaqués à 700 km à peine de Kaunas, dans un pays où des corps agresseurs tentaient de dominer des corps épris de liberté. À seulement 1 500 km de Kaunas gisait ce qui était autrefois la ville de Marioupol, où des corps reposaient sous les ruines. Et pourtant, nous étions là, à rencontrer artistes et travailleur·euse·s culturel·le·s, à découvrir la scène locale et à présenter une forme d’art dans laquelle nous mettons en scène des corps qui tiennent, des corps qui attrapent, des corps qui communiquent et des corps qui observent et absorbent tout cela.

"Avec eux·elles, nous avons franchi une étape importante : au lieu d’imiter le cirque d’ailleurs, nous avons commencé à l’utiliser comme notre propre langue afin d’exprimer des idées uniques."

Nous avons échangé avec l’équipe de Circostrada pour savoir comment faire en sorte que chacun·e se sente suffisamment en sécurité pour venir à cette rencontre, mais en fin de compte, les gens souhaitaient venir, montrer leur soutien, faire un don et parler de la situation. Nous avons invité le directeur de la compagnie hongroise Recirquel Kristian Kristof, qui présente le travail du cirque ukrainien à l’international, à donner un discours sur la façon dont les artistes font face à ces événements, ce qu’il·elle·s doivent affronter, et comment le cirque peut permettre de parler de la situation actuelle. Je pense que l’assemblée de Kaunas ne visait pas à défendre le cirque face au gouvernement, mais plutôt à défendre la liberté dans le reste de l’Europe. Toujours est-il qu’une centaine de professionnel·le·s sont venu·e·s dans une région qui n’a pas l’habitude d’exporter des productions circassiennes à l’international. Nous avions certes peu de spectacles à présenter, mais nos artistes ne manquaient pas d’idées. La partie la plus réussie du programme a été les séances de pitching pour les artistes baltes, qui ont donné lieu à des dizaines de résidences, à des offres de coproduction et à des réservations. Ces sessions ont représenté un véritable tremplin de la scène locale vers la scène internationale. Les artistes ont présenté des idées extraordinaires. Absolument uniques et authentiques. Avec eux·elles, nous avons franchi une étape importante : au lieu d’imiter le cirque d’ailleurs, nous avons commencé à l’utiliser comme notre propre langue afin d’exprimer des idées uniques. Concernant notre organisation également, je pense que nous découvrons petit à petit ce que signifie être membre de Circostrada, comment adapter le réseau à nos besoins et ne pas nous dévaloriser constamment parce que notre organisation est modeste et fragile. En réalité, nous pouvons accomplir de grandes choses grâce à cette fragilité.

Gildas Aleksa est un directeur de théâtre Lithuanien. Il dirige Teatronas, l'organisation fondatrice du festival de cirque contemporain Cirkuliacija et qui a récemment ouvert  Cirko Sapiens le premier centre dédié au cirque contemporain du pays.

John Ellingsworth travaille comme rédacteur et éditeur dans le domaine culturel. Il a travaillé sur des projets et des publications pour Kulturrådet, IETM - réseau international pour les arts du spectacle contemporains, Dansehallerne, ELIA - réseau européen pour l'enseignement supérieur des arts, le département flamand de la culture, de la jeunesse et des médias, EDN - European Dancehouse Network, et d'autres encore. Il travaille également comme analyste de données et chercheur pour le réseau de mobilité culturelle On the Move, et a récemment rédigé plusieurs rapports sur la mobilité numérique et la soutenabilité environnementale dans le contexte de la collaboration transfrontalière.