20 HISTOIRES DE CIRCOSTRADA - CÉLÉBRATION DU 20E ANNIVERSAIRE DU RÉSEAU : l'île aux saunas

Un article écrit par
Tanja Ruiter
29 août 2024
2 mn
illustration: Marion Jdanoff

En 2010, la réunion générale biannuelle de Circostrada s’est tenue à Helsinki à l’occasion de l’inauguration du Cirko Center, un nouveau site s’inscrivant dans le cadre d’un réaménagement plus vaste de l’ancienne usine à gaz et centrale électrique du district de Suvilahti. Le programme proposait des spectacles dans le théâtre récemment ouvert, des rencontres avec des artistes nordiques et avec d’autres acteur·rice·s locaux·ales autour d’Helsinki, mais un événement en particulier, prévu lors de la soirée de clôture, avait attiré l’attention de tous·tes : une excursion à Uunisaari, aussi connue sous le nom d’«île aux saunas ». Ce qui est merveilleux avec Circostrada, c’est que ses membres viennent de nombreux pays différents, et apportent avec eux·elles des expériences, des attentes, des habitudes et des tempéraments différents. Tandis que nous montions à bord du ferry à l’extrémité sud d’Helsinki, il apparaissait que certain·e·s d’entre nous connaissaient mieux les saunas que d’autres. J’étais censée apporter quelque chose ? Est-ce que les saunas sont mixtes ? Est-ce que je vais voir mes collègues nu·e·s ? Comment ça fonctionne ? Telles étaient les questions que je me posais. La traversée a eu lieu tard dans la soirée, mais il faisait encore jour, car nous étions au mois de mai. À cette période de l’année, l’air est empli d’une certaine magie : vous attendez le coucher du soleil, mais il ne vient pas, et les jours s’allongent. À notre arrivée, l’île nous a paru toute petite. Nous avons découvert un long bâtiment, où un buffet avait été installé pour nous, une petite plage, et deux petites cabanes en bois abritant les saunas pour hommes et femmes. Ceux·elles qui le désiraient pouvaient aller se baigner dans la mer Baltique (peu d’entre nous s’y sont aventuré·e·s). J’ai l’habitude que les saunas aient des règles de fonctionnement assez strictes, mais sur Uunisaari, j’ai plutôt eu l’impression d’aller dans un bar qui se trouvait dans un sauna. À l’intérieur, les cabanes étaient sombres, assez pe- tites, et équipées de bancs en bois et d’une petite fenêtre qui laissait entrer un peu de lumière. Le sauna des hommes avait pour hôte et expert Tomi Purovaara, le directeur de Cirko, et chez les femmes, nous étions reçues par Lotta Vaulo de CircusInfo Finland. Elle nous a expliqué qu’en Finlande, de nombreux immeubles d’habitation disposent d’un sauna sur le toit. Lorsque les résident·e·s veulent discuter de l’entretien du bâtiment, prendre des décisions collectives, ou simplement bavarder, il·elle·s s’installent dans le sauna, tout comme vous le feriez dans un pub ou à une terrasse dans un autre pays. Alors, de quoi avons-nous parlé dans notre petit sauna ? Eh bien, de beaucoup de choses, en français, en anglais, en néerlandais et en finnois — mais pas de la même façon que d’habitude. Nous étions comme dans une bulle, les relations de travail habituelles n’existaient plus. Comme nos vêtements, nous les avions ôtées, pour ainsi dire, et les avions laissées dehors. Ce dont je me souviens aujourd’hui, c’est que nous avions établi une sorte de matriarcat du sauna : les femmes plus jeunes et les femmes françaises plus âgées. Nous avons discuté pendant des heures, nous racontant des histoires jusque tard dans la nuit. Lorsque nous avions trop chaud, nous sortions nous rincer puis retournions rapidement à l’intérieur, car nous aimions tellement rester là, toutes ensemble, à l’abri dans ce petit cocon. Longtemps après cette soirée, des années même, chaque fois que deux ou plusieurs d’entre nous se croisaient, un simple «Coucou !» suffisait pour que tout le monde se mette à rire, car nous avions vécu cette expérience toutes ensemble. Elle avait fait naître une complicité — une proximité supplémentaire dans la relation à l’autre.

co-directrice de HH Producties, Pays-Bas