Le/s corps vivant/s - BONNE PRATIQUE : L’EXEMPLE DU PROJET BARK (PERFORM EUROPE)

Un article écrit par
Heidi Miikki, Emma Langmoen
19 juillet 2023

(Re)découvrez l'entretien croisée de Emma Langmoen et Heidi Miikki. Elles ont toutes deux travaillées pour le projet Bark (soutenu par Perform Europe). Dans le cadre de projet, elles ne se sont déplacées qu'en train et à vélo. 

Cet article faisait partie de Le/s Corps Vivant/s, la première publication du fil rouge de Circostrada. 

© Dynamo - BARK, Photo par Cosmin Cirstea

Votre projet a été sélectionné par le jury de Perform Europe et a voyagé partout en Europe, à vélo ou en train, tout en étant ouvert gratuitement à tous les publics. Comment avez-vous appréhendé cette tournée innovante et durable (sur les plans écologique, financier et logistique), et qu’avez-vous retenu de cette expérience?

Nous sommes des artistes à la tête d’une compagnie artistique. Mais nous sommes avant tout des êtres humains qui évoluent dans des systèmes complexes : systèmes politiques, écosystèmes, systèmes de valeurs, etc. Quand nous avons créé BARK et la tournée Perform Europe, nous avons simplement essayé d’aligner nos valeurs personnelles sur notre pratique artistique. Depuis le lancement d’Acting for Climate en 2014, nos pratiques ont souvent lieu dehors, en pleine nature. Les origines de BARK remontent à notre projet Into the Water, dont la tournée a eu lieu en voilier en 2019. Nous voulions faire quelque chose à plus petite échelle pour toucher les communautés locales, et offrir au public la possibilité d’explorer la nature sur un plan sensoriel – comme nous le faisons dans le cadre de notre recherche artistique. En troquant le voilier contre le vélo, nous voulions voir jusqu’où nous pouvions pousser notre démarche de réduction de notre empreinte carbone. BARK est co-produit par Dynamo (DK) et a été présenté pour la première fois en 2021, suivi d’une tournée cette même année à vélo – une expérience amusante mais aussi très exigeante. Parcourir 100 km à vélo en transportant nos affaires, notre équipement et nos instruments, lors de notre seul jour de congé hebdomadaire, a soulevé beaucoup de questions sur le développement durable, mais aussi sur nos limites physiques. Nous aimerions rendre la tournée la plus durable possible, ce qui suppose également un certain courage de la part des structures et des programmateurs afin que le coût (en temps, en argent et puissance de pédalage) ne repose pas entièrement sur les épaules des artistes. Acting for Climate s’appuie sur la conviction que nos actions comptent, et que chacun a le pouvoir d’influencer les changements de notre société. Nous pensons, par exemple, que l’art doit être accessible à tou·te·s, c’est pourquoi nous maintenons le plus possible nos spectacles gratuits. Nous pensons également que nous devons faire ce qui est en notre pouvoir pour arrêter la crise climatique en façonnant notre art et nos processus. Pendant notre tournée, il nous est apparu évident – une fois de plus – qu’il y a beaucoup de bonnes volontés partout en Europe pour soutenir les projets durables, même dans le domaine des arts. À l’échelle institutionnelle comme individuelle, les gens sont prêt·e·s à apporter leur soutien.

Le projet BARK nous invite à nous reconnecter les uns avec les autres, mais aussi avec la nature. Le projet traite du changement climatique et de la possibilité du changement social. Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse du projet, et sur comment l’idée vous est venue de créer une performance en pleine forêt ? Quel est le message que vous souhaitez transmettre?

Lors de la création de BARK, nous nous sommes rapprochés de la climatologue Karen O’Brien et de son travail sur le changement social quantique, qu’elle aborde dans son livre You Matter More Than You Think. L’idée principale du livre est que nos actions comptent plus que ce que nous pensons, et que nous avons tous les moyens et le potentiel d’influencer le monde. Karen a énormément contribué à nos concepts artistiques, et les scènes de BARK sont toutes, d’une manière ou d’une autre, liées à ses recherches. Si vous aimez quelque chose, vous ferez tout pour le protéger. Si l’on veut protéger la nature, il faut la connaître : de ce postulat est née la volonté d’inviter le public à nous rejoindre en forêt. Nous voulions mettre sur pied un projet de beauté, tout en laissant la place au « plus qu’humain » et inviter le public à sentir, toucher et entendre les curiosités offertes par la forêt. Nous, humains, oublions parfois que nous faisons partie de la nature. Chacun·e de nous est interconnecté·e avec la nature, les autres humains et les autres espèces. Avec BARK, nous voulons partager cette connexité. Lorsque nous jouons dans un arbre à 20 mètres du sol, notre codépendance à la nature devient évidente. Forêt, sol et arbres sont les principaux personnages de cette performance circassienne in situ, et co-créent la pièce avec les artistes, les climatologues et les regards extérieurs.

© Dynamo - BARK, Photo Cosmin Cirstea

Le projet BARK nous invite à nous reconnecter les uns avec les autres, mais aussi avec la nature. Le projet traite du changement climatique et de la possibilité du changement social. Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse du projet, et sur comment l’idée vous est venue de créer une performance en pleine forêt ? Quel est le message que vous souhaitez transmettre?

Lors de la création de BARK, nous nous sommes rapprochés de la climatologue Karen O’Brien et de son travail sur le changement social quantique, qu’elle aborde dans son livre You Matter More Than You Think. L’idée principale du livre est que nos actions comptent plus que ce que nous pensons, et que nous avons tous les moyens et le potentiel d’influencer le monde. Karen a énor- mément contribué à nos concepts ar- tistiques, et les scènes de BARK sont toutes, d’une manière ou d’une autre, liées à ses recherches. Si vous aimez quelque chose, vous ferez tout pour le protéger. Si l’on veut proté- ger la nature, il faut la connaître: de ce postulat est née la volonté d’inviter le public à nous rejoindre en forêt. Nous voulions mettre sur pied un projet de beauté, tout en laissant la place au «plus qu’humain » et inviter le public à sentir, toucher et entendre les curiosités of- fertes par la forêt. Nous, humains, oublions parfois que nous faisons partie de la nature. Cha- cun·e de nous est interconnecté·e avec la nature, les autres humains et les autres espèces. Avec BARK, nous vou- lons partager cette connexité. Lorsque nous jouons dans un arbre à 20 mètres du sol, notre codépendance à la nature devient évidente.

Comment avez-vous vécu ce processus de création avec des êtres non humains?

La forêt stimule énormément l’inspiration et les idées dans le processus créatif. Les formes d’interactions qu’elle propose y sont très nombreuses. Le processus a consisté, en partie, à reconnaître que le public peut parfois être davantage interpellé par un insecte que par un artiste humain – et cela est tout à fait normal. Avec BARK, nous souhaitons créer un cirque capable de laisser de la place aux autres espèces, où les arbres, les insectes et même l’air seraient tout aussi importants que les artistes. Au final, c’était très important pour nous de créer et de jouer à partir d’une valeur: l’attention à l’égard de ce qui nous entoure. Il y a une différence fondamentale entre grimper à un arbre à toute vitesse et le faire en y étant attentionné·e, tout comme entre exécuter une danse verticale sur un arbre et avec un arbre. Partout où nous travaillons, on a l’impression qu’on en apprend sur la forêt autant qu’elle en apprend sur nous. Lors de notre première rencontre avec la forêt, nous faisons un casting lors duquel nous sélectionnons les arbres correspondant le mieux à notre objectif dramaturgique. Mais c’est surtout à l’artiste humain de s’adapter: si l’arbre choisi n’est pas placé où on le souhaite pour notre dramaturgie, on doit adapter cette dernière en fonction de ki (1). Créer en pleine nature nous impose d’être flexibles et d’accepter que c’est à nous, êtres humains, de nous adapter.

© Dynamo - BARK, Photo Cosmin Cirstea

Comment le public local a-t-il accueilli votre projet ? Avez-vous relevé des différences en fonction du pays de la tournée?

Quel que soit le pays, le public nous a généralement accueilli·e·s avec confiance et ouverture d’esprit. BARK est un projet intime. Nous évoluons autour, au-dessus et parmi le public, dont les sens du toucher et de l’odorat sont mis à contribution lorsqu’il·elle·s interagissent avec le sol et les feuilles. Une revue catalane a parlé de notre performance comme un «théâtre des sens », peut-être notre nouvelle discipline circassienne ! Partout, les gens sont ouvert·e·s à l’interaction et au jeu avec la nature. À un moment donné du spectacle, il·elle·s s’allongent sur le sol. Le spectacle terminé, il·elle·s sont invité·e·s à rester, et même à grimper aux arbres avec nous – ce que la plupart accepte. BARK évolue moins en fonction du pays que de la forêt et de la météo. Même si l’expérience de la forêt varie d’une culture à l’autre, cela ne transparaît pas dans la performance. Nous créons un espace dans lequel toucher la terre et s’allonger sur le sol sont deux actes totalement naturels. À Munich, une personne nous a fait part de sa surprise quand nous avons montré au public qu’il était possible d’emprunter les petits sentiers, et pas seulement les grands axes forestiers. Nous étions nous-mêmes surpris·es, car on pensait que marcher sur les petits sentiers était une pratique courante là-bas ! Les gens nous disent souvent que BARK est une performance inoubliable que tout le monde devrait voir, et qu’elle a profondément marqué leur relation avec la nature – cela nous donne beaucoup d’espoir et confiance dans la capacité de l’art à changer le monde.

Un enjeu majeur des tournées durables de BARK est le bien-être des artistes. Qu’aimeriez-vous dire aux artistes qui n’ont jamais tenté ces tournées «lentes», où le bien-être des artistes – souvent épuisé·e·s physiquement et moralement – est placé au centre des préoccupations?

Il me semble important de dire qu’on cherche en permanence de nouvelles façons de faire. La tournée BARK de cette année s’est avérée plus durable sur les plans physique et mental que l’an passé. Perform Europe et son généreux soutien ont rendu cela possible, mais ont également fortement réduit les salaires et les frais de séjour des artistes. Les structures de financement des arts du spectacle doivent être entièrement revues si on veut assurer la transition écologique dans le secteur. Le stress subi par les artistes – déplacements en avion, absence de congés, chambre partagée par manque de fonds, etc. – doit être assumé par de plus grandes structures, sous peine de continuer de voir les artistes porter le fardeau. Parallèlement, nous avons une grande capacité d’action en tant qu’artistes. Nous vous encourageons à regarder les moyens dont vous disposez là où vous travaillez, et comment vous pouvez en tirer profit pour amener un changement durable, que ce soit sur le plan écologique que sur celui des conditions de travail. Pour créer un environnement vraiment durable et équitable, nous devons réévaluer l’échelle de valeur sur laquelle repose notre secteur. Si, pour nous, tout ce qui compte, ce sont les voyages en avion et les spectacles dans les plus grandes salles, alors nous réduisons la réussite à la célébrité et à l’argent. Nous devons redéfinir le secteur des arts du spectacle sur de nouvelles valeurs qui feront son succès.

Acting for Climate

Acting for Climate œuvre à la croisée des arts et de l’écologie. Depuis la fondation de la compagnie en 2014, notre objectif déclaré est, à travers l’art, d’encourager les gens à agir pour un avenir plus durable. Nous créons nos propres performances que nous jouons ensuite en tournée. Notre compagnie, basée en Europe et à Montréal, est un réseau croissant d’individus, d’artistes et d’activistes qui entretiennent la collaboration en faveur du développement durable. En mettant l’accent sur le cirque contemporain par le biais d’une approche pluridisciplinaire, nous alimentons notre action avec un souhait, celui de changer le monde.

www.actingforclimate.com 

1. Robin Wall Kimmerer a proposé les pronoms ki/kin (singulier/pluriel) pour les êtres vivants, que nous reprenons dans BARK.

Heidi Miikki (pronom: elle) est une danseuse et artiste de cirque basée à Helsinki. Formée au Danemark et en Finlande, elle est titulaire d’un Bachelor of Arts de l’Académie des Arts de Turku. Heidi fait partie du noyau dur d’Acting for Climate, et mène ses projets personnels en solo ou en collaboration avec d’autres compagnies. Ses terrains d’expression sont multiples, puisqu’elle évolue aussi bien sur corde raide, au sol, dans un harnais, sur barre de pole dance et même dans les arbres. Écologiste convaincue, elle est animée d’un fort esprit d’empathie, de dévouement et de rencontre. Heidi est fascinée par le mouvement et par la nature ludique des œuvres in situ.

Originaire de Norvège, Emma Langmoen (pronom: elle) est artiste de cirque de formation et activiste de cœur. Diplômée de l’école SaSak en 2018, elle crée depuis des œuvres interdisciplinaires qu’elle présente par- tout en Europe du Nord, notamment avec ses collectifs Acting for Climate et Oslo Nysirkus. Emma s’intéresse à la poésie physique et verbale, aux œuvres in situ et à la capacité de l’art à créer de nouveaux récits.