Nous avons rejoint le réseau Circostrada en 2015. Pour Le Plus Petit Cirque du Monde, cette année-là a signé un tournant majeur. Nous venions en effet de terminer la construction de notre nouveau bâtiment à Bagneux, en banlieue parisienne. Pour la première fois, nous disposions de notre propre espace pour proposer une programmation artistique en continu, dans un bâtiment servant à la fois de salle de spectacle et de centre artistique communautaire. Notre région est assez défavorisée sur le plan économique, et abrite une importante population immigrée venue d’Afrique. Pour nous, il était essentiel de créer des liens ici même et avec ces pays. Nous avons donc commencé à nouer des collaborations avec des artistes africains et à tisser des liens avec la Guyane française, les territoires francophones de l’océan Indien occidental et Madagascar. Fin 2015, nous avons été conviés au premier festival africain des arts du cirque, en Éthiopie. Organisé par Fekat Circus, cet événement exceptionnel s’est déroulé à Addis-Abeba. Nous avons séjourné dans un hôtel avec environ 80 jeunes artistes africains issus de l’ensemble du continent. Le festival était organisé dans un grand espace ouvert de la ville. Il avait lieu à l’extérieur, fin novembre, l’un des meilleurs moments pour visiter Addis-Abeba, car le temps y est magnifique. Le festival ressemblait presque à un concert de rock. De jeunes artistes venus de Zambie, d’Afrique du Sud, du Sénégal, du Kenya, d’Égypte et bien sûr d’Éthiopie étaient à l’affiche. Chaque soir, le spectacle durait cinq heures, car de nombreux groupes différents se produisaient en concert. Le festival accueillait environ 3 000 visiteurs par jour. En avril 2017, nous y sommes retournés pour aider Fekat Circus à élaborer un plan de coopération stratégique entre les organisations de cirque éthiopiennes, et avons suggéré à Stéphane Segreto-Aguilar, le coordinateur de Circostrada, que la deuxième édition du festival africain des arts du cirque serait l’occasion parfaite pour organiser l’un des voyages de recherche du réseau. Fekat Circus souhaitant créer des liens avec l’Europe, l’organisme a également rejoint le réseau Circostrada. Le voyage a eu lieu en 2018, et le festival nous a encore une fois offert une expérience incroyable. Il a accueilli des artistes du Maroc, du Sénégal, de Guinée, du Kenya, du Mozambique et de nombreux autres pays. J’ai convaincu deux autres membres françaises de Circostrada, Yveline Rapeau de La Brèche/Cirque Théâtre d’Elbeuf et Patricia Kapusta du Prato, de nous accompagner, et nous avons eu l’idée de travailler ensemble dans le cadre d’une collaboration pour la saison Africa 2020 de l’Institut français. Ce travail a donné naissance à Africirques, un projet important comprenant notamment une collaboration de trois ans avec Fekat Circus : le projet CROSS, pendant lequel les artistes de Fekat ont travaillé aux côtés des artistes de la compagnie française Kiaï. Ils ont créé un spectacle dont la tournée se poursuit encore aujourd’hui. Je pense que ce voyage en Éthiopie a été l’occasion pour Circostrada de s’ouvrir à un autre continent. Pendant des années, j’ai fait partie de différents réseaux européens, dont la priorité était toujours de créer une coopération au sein de l’Europe et de construire une identité européenne. Mais le monde a changé et le concept d’identité européenne s’élargit. Aujourd’hui, Circostrada est plus qu’un réseau européen. À travers la collaboration avec Fekat et d’autres compagnies, notre perspective a évolué. En Europe, il y a une plus grande séparation entre les activités artistiques, communautaires et de sensibilisation. Dans les pays africains, les artistes et les organisations n’ont pas le luxe de faire ces distinctions : tout est mélangé. Mais cela leur donne une vision plus globale, plus holistique de ce que signifie être un artiste. Cette vision nous a aidés à être plus confiants dans notre façon de mêler les artistes et les communautés.
Eleftérios Kechagioglou est le directeur de Le Plus Petit Cirque du Monde.